Fiche produit
120 JOURNEES
387,50 MAD TTC
Auteur(s)
Noirez Jerome
Éditeur(s)
Calmann-levy
Date de parution
22/08/2012
DISPONIBILITE
Expédié sous 21 à 28 jours
Descriptif
Infos
JOURNÉE 1
Aujourd'hui, il fait moite. Une averse est tombée la veille, durant plusieurs heures, jusqu'au soir où le déluge s'est brusquement arrêté. Et voilà que ce matin le soleil brille intensément dans un ciel sans nuages, et qu'une brume très légère plane au-dessus du sol détrempé. Ninon est allée poser ses fesses sous l'ombre des sapins pour y farfouiller la terre, et je la regarde depuis la fenêtre de mon bureau. Ses cannes maigres repliées contre elle portent toute une collection de bleus, qui d'ailleurs ne sont pas bleus, mais plutôt verts ou beiges... Je crois lui avoir demandé plusieurs fois de jeter ce short immonde, le genre que portent les gosses des bidonvilles quand ils gravissent leurs terrils d'ordures. Je n'ai jamais bien compris pourquoi elle y était aussi attachée et l'enfilait à la moindre occasion. C'est du six ans, elle en a huit, bientôt neuf, on ne peut pas dire, cependant, qu'elle croisse à vue d'oeil. Je ne me rappelle même plus dans quelles circonstances on le lui a acheté.
Je vois ses doigts qui grattent le sol à la recherche des bestioles qui y sommeillent. Celles qui sont réveillées gravitent autour de son visage. Ninon est devenue une étoile pour les moucherons. L'humidité montant du sol a commencé à mouiller ses cheveux qui collent à son front et à ses oreilles décollées. Elle a l'air de s'en foutre. Elle ramène de l'humus une larve gigoteuse. Ses doigts sont sales. Elle les passe sur ses joues roses. Pas le rose de la vitalité, plutôt une irritation due à la moiteur et aux insectes. Si j'étais un père soucieux de ses responsabilités, si j'avais acquis la maturité que l'on attend d'un homme de mon âge, maturité que je serais alors censé inoculer d'une voix grondante à plus immature que moi, j'ouvrirais la fenêtre et rappellerais à ma fille qu'elle n'a pas déjeuné, qu'elle s'est habillée n'importe comment, et qu'elle va finir par attraper des vers intestinaux ou le tétanos ou la dengue à fouiller à main nue le terreau brun des conifères. Mais j'adore la voir faire sa crapote, et je l'envie, en fait.
Mon ordinateur me bipe. Je retourne m'asseoir devant mon écran. La crapote est en fond, elle sourit, les pieds dans une mare où se noient mes icônes, penchée vers son reflet maculé de lentilles d'eau. Le téléchargement du module est fini. Installe-toi, oui. Un oculus s'ouvre, ou plutôt une espèce de psyché noire dans laquelle je me reflète, ce qui est plutôt désagréable. Un message s'affiche. Mon microphone est reconnu, m'apprend-il. À l'extrémité inférieure de l'ovale, un potentiomètre s'agite à chaque fois que je remue sur ma chaise ou que je me gratte la gorge. Dans la partie supérieure brille une diode rouge. Rien de plus. Aucun paramètre, aucune gestion de fichiers. Mon pare-feu sort de sa torpeur. Il veut savoir si l'on peut faire confiance à ce programme. J'apprécie sa constante méfiance, son côté suricate en alerte. Je le rassure. Tout va bien, tout est sous mon contrôle. Il doit sentir que je lui mens car il met quelques secondes avant d'abdiquer. La diode passe brièvement au vert avant de revenir au rouge. Sur la psyché s'inscrit: Prochaine connexion dans 9 jours 9 heures 37 minutes. On me fait grâce des secondes. Je me demande si, à l'autre bout, ils ont été alertés de la bonne installation du programme. D'une pichenette de souris, je ferme l'oculus qui s'en va se tapir dans la végétation, derrière Ninon et son sourire.
Retour à la fenêtre du réel. Ninon n'est plus sous les sapins. Je devine le haut de sa tête qui dépasse derrière le muret en habits de lierre. Elle doit inspecter le potager, enfin, ce que nous appelons le potager, car des légumes chétifs que nous ne cueillons presque jamais y croupissent au milieu d'une multitude de variétés d'herbes. Un piaf s'envole trop rapidement pour que je l'identifie. Il disparaît derrière la haie de ronciers, s'en va pépier chez les voisins.
Aujourd'hui, il fait moite. Une averse est tombée la veille, durant plusieurs heures, jusqu'au soir où le déluge s'est brusquement arrêté. Et voilà que ce matin le soleil brille intensément dans un ciel sans nuages, et qu'une brume très légère plane au-dessus du sol détrempé. Ninon est allée poser ses fesses sous l'ombre des sapins pour y farfouiller la terre, et je la regarde depuis la fenêtre de mon bureau. Ses cannes maigres repliées contre elle portent toute une collection de bleus, qui d'ailleurs ne sont pas bleus, mais plutôt verts ou beiges... Je crois lui avoir demandé plusieurs fois de jeter ce short immonde, le genre que portent les gosses des bidonvilles quand ils gravissent leurs terrils d'ordures. Je n'ai jamais bien compris pourquoi elle y était aussi attachée et l'enfilait à la moindre occasion. C'est du six ans, elle en a huit, bientôt neuf, on ne peut pas dire, cependant, qu'elle croisse à vue d'oeil. Je ne me rappelle même plus dans quelles circonstances on le lui a acheté.
Je vois ses doigts qui grattent le sol à la recherche des bestioles qui y sommeillent. Celles qui sont réveillées gravitent autour de son visage. Ninon est devenue une étoile pour les moucherons. L'humidité montant du sol a commencé à mouiller ses cheveux qui collent à son front et à ses oreilles décollées. Elle a l'air de s'en foutre. Elle ramène de l'humus une larve gigoteuse. Ses doigts sont sales. Elle les passe sur ses joues roses. Pas le rose de la vitalité, plutôt une irritation due à la moiteur et aux insectes. Si j'étais un père soucieux de ses responsabilités, si j'avais acquis la maturité que l'on attend d'un homme de mon âge, maturité que je serais alors censé inoculer d'une voix grondante à plus immature que moi, j'ouvrirais la fenêtre et rappellerais à ma fille qu'elle n'a pas déjeuné, qu'elle s'est habillée n'importe comment, et qu'elle va finir par attraper des vers intestinaux ou le tétanos ou la dengue à fouiller à main nue le terreau brun des conifères. Mais j'adore la voir faire sa crapote, et je l'envie, en fait.
Mon ordinateur me bipe. Je retourne m'asseoir devant mon écran. La crapote est en fond, elle sourit, les pieds dans une mare où se noient mes icônes, penchée vers son reflet maculé de lentilles d'eau. Le téléchargement du module est fini. Installe-toi, oui. Un oculus s'ouvre, ou plutôt une espèce de psyché noire dans laquelle je me reflète, ce qui est plutôt désagréable. Un message s'affiche. Mon microphone est reconnu, m'apprend-il. À l'extrémité inférieure de l'ovale, un potentiomètre s'agite à chaque fois que je remue sur ma chaise ou que je me gratte la gorge. Dans la partie supérieure brille une diode rouge. Rien de plus. Aucun paramètre, aucune gestion de fichiers. Mon pare-feu sort de sa torpeur. Il veut savoir si l'on peut faire confiance à ce programme. J'apprécie sa constante méfiance, son côté suricate en alerte. Je le rassure. Tout va bien, tout est sous mon contrôle. Il doit sentir que je lui mens car il met quelques secondes avant d'abdiquer. La diode passe brièvement au vert avant de revenir au rouge. Sur la psyché s'inscrit: Prochaine connexion dans 9 jours 9 heures 37 minutes. On me fait grâce des secondes. Je me demande si, à l'autre bout, ils ont été alertés de la bonne installation du programme. D'une pichenette de souris, je ferme l'oculus qui s'en va se tapir dans la végétation, derrière Ninon et son sourire.
Retour à la fenêtre du réel. Ninon n'est plus sous les sapins. Je devine le haut de sa tête qui dépasse derrière le muret en habits de lierre. Elle doit inspecter le potager, enfin, ce que nous appelons le potager, car des légumes chétifs que nous ne cueillons presque jamais y croupissent au milieu d'une multitude de variétés d'herbes. Un piaf s'envole trop rapidement pour que je l'identifie. Il disparaît derrière la haie de ronciers, s'en va pépier chez les voisins.